« Je n’arrive pas à me mettre au travail… » « Toutes ces choses que j’ai à faire et je n’ai pas le courage de m’y atteler, ça va finir par me nuire… » « J’ai un super projet, mais je ne fais rien. »

Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas, citation connue de Pascal qui, pour moi, évoque l’amoureux transi, soit dans la fusion et la déraison d’amours passionnées, soit dans le désespoir d’un amour non partagé, tel le jeune Werther de Goethe qui finit par mettre fin à ses jours [1].

Mais le cœur n’est pas seulement le siège de l’affection et des sentiments amoureux ; il est aussi, dans le langage, le siège du courage. Courage dont l’étymologie nous dit qu’il vient de cœur, comme si courage était une sorte de contraction de « cœur à l’ouvrage ». C’est Corneille qui fait demander : « Rodrigue, as-tu du cœur ? » ou bien le nom de Richard 1er roi d’Angleterre, Richard Cœur de Lion, surnommé ainsi pour son ardeur au combat.

De même, le mot « cœur » ne désigne pas seulement cet organe qui bat en nous, organe nécessaire sans lequel nous ne saurions vivre, qui irrigue tout notre corps, mais aussi le centre de toute chose, ce qu’elle a de plus précieux, de plus fragile, de plus essentiel.

Aussi, quand le courage nous manque sur un chemin que nous estimons important, il n’est pas étonnant que nous puissions nous sentir menacés, comme si la vie même semblait refluer en nous, que le sang ne circulait plus, comme si ce que nous avions de plus précieux, de plus intime ne suffisait plus à nous fournir l’énergie nécessaire : le cœurdu réacteur nous semble éteint et ce n’est point tant le désir ou la motivation qui nous manque, que la capacité de nous mettre en route. Il y a là de l’impuissance et peut-être un peu de désespoir peut-il se glisser en nous, du désespoir ou l’un des poisons de l’existence que sont la mésestime, le découragement, la résignation.

Alors, puisque nous n’avons pas de cœur : ayons du cœur ! Du cœur, c’est-à-dire de la compassion et de la bienveillance pour nous-mêmes, mais aussi un peu de discernement. Car, souffrant déjà d’être empêché dans son élan et arrêté sur le chemin, ce serait se faire un surcroît de violence que de se traiter de paresseux ou d’incapable. Suspendons notre jugement et regardons-nous comme une mère attentionnée regarde son enfant faire ses premiers pas.

– Premier principe : nous faisons de notre mieux; comme l’enfant qui apprend à marcher tombe encore et encore, peut-être nous faut-il du temps pour apprendre. Et s’il nous semble que, pourtant, nous avons su faire dans le passé ce qu’aujourd’hui nous peinons à accomplir, c’est peut-être qu’il y a du nouveau dans la situation que nous n’avons pas vue. Nous n’entrons jamais deux fois dans le même fleuve,dit Héraclite, toute situation est singulière et contient de l’inconnu. Cherchons donc en quoi, cette fois-ci, ce n’est pas comme d’habitude.

– Deuxième principe : nous sommes raisonnables; nous savons peser le pour et le contre, même si, parfois, les plateaux de la balance sont hors de la vue de notre conscience. Demandons-nous ce que nous gagnons à ne pas faire ce que nous avons à faire. Faire, c’est parfois perdre ses illusions, quitter le rêve pour la réalité et le pas n’est pas si facile à franchir sans nous malmener ; peut-être avons-nous simplement besoin d’un peu de temps.

– Troisième principe : nous sommes prudents; comment vivrons-nous l’échec de notre action ? Il se peut que, si ce que nous redoutons arrive, à savoir l’échec de nos initiatives, alors quelque chose va s’effondrer en nous et qu’il nous sera difficile de surmonter l’épreuve. Il ne sert à rien de minimiser le risque, une partie de nous-mêmes, du côté de l’instinct de survie, est insensible à la statistique : si nous craignons l’effondrement, alors nous avons raison de ne pas agir… Comme il ne sert à rien de dire à l’enfant que le loup dont il a peur n’existe pas, sachons traiter nos peurs avec douceur, la douceur d’un parent attentif qui prend le temps de l’écoute, le temps d’une lumière allumée au chevet de l’enfant, une main dans sa main, malgré la fatigue peut-être, malgré le temps qui passe et le sommeil perdu.

Tout cela se résume simplement dans l’idée simple que si, aujourd’hui, je n’arrive pas à m’y mettre, je peux avoir foi et confiance dans l’idée que, demain, le temps aura fait son œuvre et que j’aurai su dénouer les fils entremêlés. Avec un peu d’amour et de compassion.

[1] En réalité, Pascal évoque ici l’attitude face à Dieu, qui est seulement accessible au cœur et non à la raison (Les Pensées).

Article paru sur le site jeune-dirigeant.fr