Outil : « Objet fabriqué, conçu et fait pour agir sur la matière, pour exécuter un travail, produire un objet. », nous dit le Robert… Par exemple le marteau, outil par excellence et qui vient spontanément à l’esprit quand on demande de citer un nom d’outil.

Si je ne sais si, comme moi lecteur, tu as usé du marteau dans ta jeunesse : je fabriquais des tableaux de fils, des motifs dessinés par des fils tendus autour de clous plantés sur une planche de bois. Ma plus belle œuvre comportait 1200 clous. 1200 clous, ça fait beaucoup de coups de marteau ; sur les clous et sur les doigts, car je n’étais encore pas très habile ; et beaucoup de clous tordus. Évidemment que j’ai râlé : râlé en sautillant de douleur et en me tenant le doigt tout bleu ; râlé en essayant d’enlever avec les tenailles le clou que j’avais méchamment incrusté de travers dans le bois. Mais pas râlé contre le marteau, je crois que ça ne me serait jamais venu à l’idée, non, râlé contre mon incompétence, contre la lenteur de mon apprentissage. Car c’était une chose entendue que manier un marteau supposait un apprentissage et du temps. Je pense que ça l’est encore aujourd’hui pour ceux qui saisissent un marteau, une lime, une scie pour la première fois.
Pourtant, maintenant que le mot outil désigne des choses qui s’écartent sensiblement de la définition initiale – objet fabriqué – l’évidence de cet apprentissage me semble remise en question. Par exemple en informatique : un outil – en général, une application – doit être « ergonomique, facile à utiliser et efficace. » C’est-à-dire sans apprentissage ; ce qui est d’ailleurs antinomique : un outil adapté à un public profane ne peut être aussi efficace que s’il était conçu pour un utilisateur averti [1].
Il y a ici l’idée que l’outil doit être une extension « naturelle » de l’humain – forme extrêmement précoce du transhumanisme – si naturelle que, peut-être, nous allons la considérer comme nôtre et ne plus nous en passer. Le spectacle des individus – au nombre desquels je dois me compter – plongés dans leur smartphone en est une illustration : outils faciles à utiliser, difficiles à quitter.
Mais c’est en management que les choses me semblent prendre un tour particulier, notamment sous l’impulsion de certaines formes de coaching : l’outil devient prépondérant et envahit l’espace. À certains égards, il me semble que la pratique se restreint à l’utilisation d’outils : grilles d’évaluation, check-lists, etc. Ce que dénote le succès de certains articles sur les réseaux sociaux : les 10 qualités clés du manager ; les 5 erreurs à éviter dans vos entretiens ; les 12 secrets du leadership. Pour résumer : les mille et une énumérations pour cadrer votre pratique. Autant d’opérations de normalisation de nos pratiques, qui ferment la porte à la nouveauté.
Or le management n’est jamais que la pratique des relations humaines dans un certain contexte ; et qui dit relations humaines dit singularité des personnes. Ce pour quoi nous avons besoin de nous mobiliser tout entier, sans nous en remettre aux outils avant d’avoir jugé de la situation, elle aussi toujours singulière. Dans ses rapports aux autres, le manager n’a qu’un seul véritable outil : lui-même ; le reste n’est qu’accessoire.
S’en remettre totalement aux outils, c’est renoncer à la puissance de l’être humain et regarder le monde au travers d’un filtre. Ce qu’exprime la maxime, pour en revenir à notre outil familier : « quand on est un marteau, tous les problèmes sont des clous » [2].

[1] Voir aussi mon article sur le sujet en 2010 : les informaticiens sont tous des autistes

[2] Citation attribuée parfois à Abraham Maslow ou à Paul Watzlawick : « j’imagine qu’il est tentant, si le seul outil que vous avez est un marteau, de traiter tout problème comme si c’était un clou. »

Article paru sur le site dirigeant.fr