Le 11 janvier, une marche républicaine en réaction aux attentats qui ont ensanglanté la France pendant la semaine, a rassemblé entre un et deux millions de personnes. Récit de notre participation.

La rue Saint-Maur Rendez-vous pris avec quelques amis, nous démarrons vers 14h30, une demi-heure avant le début de la manifestation à 15h. Rue Saint-Maur, entre les deux itinéraires prévus, je trouve qu’il y a un monde fou, qui laisse présager d’une affluence exceptionnelle.

Avenue ParmentierAvenue Parmentier, non loin de la place Léon Blum (au fond), où doit passer la manifestation, les policiers barrent la route; pour les officiels nous disent les policiers qui doivent démarrer leur propre marche. Il y a des “Je suis Charlie” partout qui me font me demander: “où est Charlie!?” Nous rions ensemble; j’imagine un jeu avec une photo du moment sous-titrée: “de nombreuses personnes présentes prétendent qu’elles sont Charlie. Sauras-tu trouver le vrai Charlie?”

Saint-AmbroiseAyant rebroussé chemin pour tenter de rejoindre le boulevard Voltaire, nous trouvons ouverte la rue qui mène à l’église Saint-Ambroise mais finalement fermée elle aussi juste avant le boulevard. En réalité, les officiels ne sont pas loin et nous apercevons leurs bus. Des gens applaudissent et je me demande pourquoi; je suis mal à l’aise d’être, avec tous ces gens, empêché dans cette marche pour des gouvernants qui n’ajoutent rien à l’événement et auraient pu tout aussi bien se montrer ensemble à l’Élysée.

Marianne à Saint-AmbroiseMarianne, devant Saint-Ambroise, une marionnette géante qui patiente comme nous, stoïquement. Du sang coule sur son visage blessé; je la verrai plus tard, revenu chez moi, à la télévision alors qu’elle arrive place de la Nation, dans une mise en scène où elle lutte contre des agresseurs figurés par des drapeaux noirs qui me font penser à des corbeaux.

Avenue de la RépubliqueFinalement, lassés de piétiner et d’attendre le bon vouloir du cortège officiel qui, je l’apprendrai plus tard, “va défiler 200 mètres seulement pour des raisons évidentes de sécurité” (le Figaro), nous tentons notre chance vers l’itinéraire secondaire, du côté de la place de la République. Là-bas, nous nous joignons à un cortège qui avance. Heureusement, ce n’est pas la “presse” mais nous avançons librement tandis que des amis m’avertissent qu’ils sont toujours bloqués place de la République. La foule est immense.

Métro Père LachaisePrès du métro Père Lachaise, survolé par des cameramen, nous piétinons à nouveau, à cause cette fois-ci de la foule qui converge depuis les avenues de Gambetta et de la République et depuis le boulevard de Ménilmontant. La foule est calme et défile presque en silence. De temps en temps, une salve d’applaudissements parcourt le défilé, comme une vague, sans qu’on sache qui est applaudi; la foule peut-être, qui se félicite elle-même d’être là. Certains ont des pancartes qui témoignent à la fois d’une même raison d’être là et, en même temps, disent l’extrême diversité, et des personnes en présence, et de leurs raisons d’être venues. Nous faisons une pause chez une amie qui habite tout à côté. Sensation étrange de s’extraire d’un coup de l’affluence, comme si nous traversions une porte secrète hors du monde.

Depuis le cimetière du Père LachaiseDe nombreuses personnes sont rentrées dans le cimetière du Père Lachaise pour observer la scène; nous les imitons. Je ne suis pas habitué des manifestations. Je suis impressionné par le nombre et, surtout, par le monde qu’il y a partout; dans le cortège mais aussi dans toutes les rues adjacentes, jusque dans les allées du cimetière, comme s’il ne s’agissait pas tant de marcher que d’être là, présent dans le périmètre.

Rue de la RoquetteLe soir tombe; nous renonçons à rejoindre Nation. Personnellement, avec un goût modéré pour la foule, je crains d’y trouver une foule étouffante. Après près de deux heures et demie, nous décidons de concert de rentrer. Nous rejoignons ainsi la rue de la Roquette par la rue de Mont-Louis et la rue de la Folie-Regnault. Au bout, les portes du cimetière se ferment: il est 17h. Ici aussi, il y a beaucoup de monde, comme si la manifestation avait envahi tout l’espace entre les deux itinéraires.

De retour chez nous, nous allumons la télévision; des images de la marche républicaine, en boucle. On y raconte que le président de la République a réussi l’opération; je songe qu’en effet la sécurité a été assurée; pour le reste, je n’y suis pas allé pour ça, ni pour le soutenir lui ou aucune autre personnalité; ni pour poireauter en attendant qu’il défile en toute sécurité. J’y suis allé avec quelques proches, des gens que j’aime bien et avec qui je suis content de marcher; j’y suis allé pour participer à cet événement important et pour partager ma tristesse, cette tristesse qui plane sur la foule, qui fait ce calme, qui fait ce pas lent et tranquille, qui fait que la foule, aujourd’hui, n’est pas effrayante comme elle peut l’être quand elle est en colère. La colère qui vient toujours après la peine.