Alors que son Traité sur la tolérance trône dans toutes les librairies, je trouve fait recension sur Internet de quelques citations de Voltaire beaucoup moins lumineuses. La plus significative est sans doute celle-ci: “Les Blancs sont supérieurs à ces Nègres, comme les Nègres le sont aux singes, et comme les singes le sont aux huîtres.” [1] À se demander comment il a pu se prononcer contre l’esclavagisme. L’esclavagisme dont la pratique culmine précisément pendant cette merveilleuse époque des Lumières, avec, en France, la traite triangulaire [2].

Alors voilà: deux solutions.

Premièrement, considérer que notre admiration pour Voltaire – et d’autres figures avec lui – était inconsidérée; que le bonhomme n’est pas à la hauteur de l’estime que nous avons pour lui et organiser, comme dans son Candide, un gigantesque autodafé afin de détruire ses ouvrages.

Ou alors, faire la part des choses; il y a de l’ombre et de la lumière dans chaque homme et dans chaque époque, même si l’ombre nous semble ténébreuse. De l’ombre même dans ce siècle des Lumières; de la lumière même dans l’obscur Moyen Âge. Quant à ce qu’ont pensé les hommes, alors même que d’autres à l’époque avaient un discours plus conforme à nos actuelles convictions, comment les juger? “L’action, ce sont des hommes au milieu des circonstances” [3], l’action perdure dans les écrits. Les circonstances ont disparu.

Ce qui n’a pas disparu, c’est notre propre époque et nos propres insuffisances. Que savons-nous à notre tour du regard que porteront nos descendants sur ce que nous avons dit, sur ce que nous avons fait, sur ce que nous n’avons pas dit ou fait. Que donc ces actions ou ces paroles qui nous indignent et appartiennent à des êtres qui ont vécu dans un environnement que nous ne connaissons plus, ou qui vivent encore dans un environnement que nous ne connaissons pas, nous servent à examiner et peut-être corriger en nous ce qui, selon notre propre conscience, nous vaudra l’opprobre de notre descendance.

[1] Voltaire – Traité de métaphysique
[2] Les bateaux chargés de monnaie d’échange partaient des villes sur l’Atlantique vers l’Afrique, échangeaient là-bas leur cargaison contre du “bois d’ébène”, des esclaves achetés à des marchands locaux qu’ils emmenaient en Amérique, pour revenir par exemple avec du sucre. Voir l’excellente série “Les passagers du vent”, la bande dessinée de François Bourgeon.
[3] Charles de Gaulle