Une séquence de l’excellente série « The Crown » – la Couronne, d’ailleurs récompensée par les Golden globes – montre la reine Elisabeth II, dans l’imminence dans son accession au trône, qui s’entend prodiguer le conseil suivant : « Il y a maintenant deux personnages en toi : Elisabeth et la reine. Il y aura des moments où ces deux personnages ne seront pas d’accord mais, à la fin, c’est la reine qui doit avoir raison. »

Cette simple scène montre à quel point le pouvoir n’est pas toujours le grand pourvoyeur de liberté que nous imaginons. Au contraire, nous voyons ici que le pouvoir mange l’individu.

Pourtant, un des motifs principaux de « se mettre à son compte », ou de créer sa propre entreprise, est un désir de liberté. Ne plus dépendre des caprices arbitraires d’un chef, voilà ce qui motive souvent les porteurs de projet. En vérité, qui est le plus libre : le salarié qui, moyennant un préavis de trois mois, peut quitter l’entreprise quand bon lui semble ; ou le dirigeant qui, à moins d’être un cynique accompli, ne saurait quitter le bateau sans s’être préoccupé de la suite ? Vendre une entreprise – quand elle est vendable – ne se fait pas aussi finalement que signer une lettre de démission. Et la question du « Et après ? » se pose souvent avec la même acuité pour l’un et l’autre, sauf à céder son entreprise, cas plutôt rare, pour un montant qui nous met définitivement à l’abri du besoin.

La liberté de l’entrepreneur ne se mesure donc pas dans son quotidien, souvent encombré, aux frontières perméables entre vie professionnelle et vie personnelle. Elle s’exerce dans la décision même de prendre son destin en main et d’assumer les responsabilités afférentes. Il s’agit bel et bien d’une liberté existentielle, non d’une liberté de bohème.

Dans la même série, mais un autre épisode, Elisabeth rappelle à son premier ministre qu’il y a deux côtés dans la constitution : le côté « efficace » et le côté « digne », le gouvernement incarnant le premier, la monarchie le second.

Pour un entrepreneur, qui n’est aucunement roi, c’est bel et bien la soumission de sa liberté quotidienne à sa liberté existentielle qui constitue une part de la dignité. Non pas le simple sacrifice de son temps, mais le fait d’assumer jusqu’au bout les responsabilités qu’il a endossées en se lançant dans l’aventure. Et c’est bien ce qui est parfois choquant dans le spectacle que donnent ceux qui ont des responsabilités publiques.

Article paru sur le site dirigeant.fr