Ce pourrait être le titre d’un nanar de science-fiction des années 50. C’est l’idée générale qui ressort d’une étude qui énonce que, dans 45 ans, les robots pourraient prendre le travail des êtres humains [1].

Passons sur les arguments techniques de cet énième épisode de l’opposition entre productivité et solidarité, puisqu’il ne s’agit rien moins que de voir, en perspective, des outils diminuer le travail humain. L’apparente nouveauté vient seulement que des professions qui se croyaient à l’abri de la robotisation pourraient maintenant craindre d’être touchées. Une autre nouveauté est que l’outil a l’air de se rapprocher de l’être humain [2] ; ce qui rapproche la peur que nous pouvons en avoir, de la haine.

Partons quelques siècles en arrière, avec le livre de Jacob Rogozinski, Ils m’ont haï sans raison, qui analyse la grande chasse aux sorcières entre la Renaissance et les Lumières, mais aussi les persécutions ultérieures. Il y voit un schéma qui se reproduit : une classe dominante anxieuse de se faire renverser par ceux-là même qu’elle opprime et qui se trouvent aux marges de la société. Au point que notre regard contemporain ne nous permet pas de comprendre cet acharnement sur des êtres vulnérables, une vieille paysanne, un curé de campagne, ainsi que tous ceux qui avaient osé s’élever contre le massacre.

L’hypothèse de Rogozinski est que la haine est à proportion de l’horreur que nous inspire une partie de nous-mêmes ; horreur si forte que nous la dénions et préférons la voir chez autrui. Refusant de reconnaître notre propre ombre, nous préférons ainsi l’imaginer appartenir à d’autres qu’il nous est possible de détruire. Bref, l’histoire éternelle de l’homme tuant son propre frère, depuis Caïn et Abel.

Pour revenir à notre sujet initial, cette crainte de l’envahissement par les robots – à côté des indéniables problématiques d’équilibre économique – pourrait naître de notre tendance à la l’uniformité, de notre conformisme, de notre renoncement individuel à nos singularités. Une tendance pourtant critiquée dans les discours officiels. Cette crainte des robots pourrait n’être que la manifestation inopinée de notre tendance à ériger des modèles auxquels nous voulons ressembler – devenant ainsi des produits industriels – et, corollaire, à expulser la différence gênante, hier les sorciers et sorcières, aujourd’hui les handicapés, les marginaux, les simples d’esprit, les paresseux, les rêveurs, les gros, les petits, les ceci, les cela, et tous ceux qui ne correspondent pas à certaines normes et qui se trouvent être – première humiliation – catalogués d’une façon ou d’une autre.

La vérité est que les robots n’envahissent pas le monde ni ne menacent de détruire tout ou partie de l’espèce humaine ; cela, seuls les humains sont capables de le faire.

[1] https://www.rtl.fr/culture/futur/intelligence-artificielle-les-robots-pourraient-prendre-le-travail-des-hommes-dans-45-ans-7788967730
[2] Il n’en est rien, bien sûr ; les robots restent des choses. Peut-être qu’un critère nous informant que ceci est en train de changer serait l’apparition d’un robot capable de choisir son destin.
[3] Jacob Rogozinski, Ils m’ont haï sans raison : de la chasse aux sorcières à la Terreur, Le Cerf 2015 –https://www.babelio.com/livres/Rogozinski-Ils-mont-hai-sans-raison–De-la-chasse-aux-sorci/801517

Article paru sur le site dirigeant.fr