L’éloge du carburateur – Essai sur le sens et la valeur du travail
Essai de Matthew B. Crawford – Éditions La Découverte 2010

L’auteur est un universitaire qui décroche une embauche dans un think tank à Washington. Au bout de quelques mois, il fuit cet environnement grassement payé mais qui le déprime, pour ouvrir un atelier de réparations de motos.

Certes, il n’en est pas à son coup d’essai. Pendant toute sa jeunesse, il a travaillé manuellement, tantôt comme électricien, tantôt comme mécanicien.

Le livre est une charge contre la disparition de l’artisanat et la mésestime portée aux métiers manuels, avec une alternance de pensées philosophiques et de descriptions de situations réelles qu’il a traversées dans son atelier. Il aborde bien des sujets connexes à l’opposition entre travail industriel ou bureaucrate d’un côté et l’artisanat de l’autre. Il situe cette opposition dans un contexte historique – ayant lui-même une formation d’historien – et explique comment est née et a grandi tout au long du XXème siècle la séparation radicale entre le faire et l’agir.

Or, l’artisan, surtout dans les métiers de réparation d’objets qu’il n’a pas fabriqué, le réparateur en général au côté duquel il place le médecin, ne peut dissocier ces deux activités puisque chacun de ses gestes puise sa justification dans les deux registres: pas moyen d’agir mécaniquement pour réparer une moto antique, quand le manuel du constructeur (s’il existe encore!), conseille de vérifier l’embrayage et donc d’ouvrir le carter alors que les vis fixant celui-ci sont totalement émoussées.

Il oppose ainsi à l’artisan, “l’idiot”, c’est-à-dire d’après lui, l’homme qui n’a pas conscience de son rôle public. Ainsi le “mauvais” ouvrier qui bâcle soit le diagnostic, soit le travail lui-même; soit la pensée, soit le geste. Ainsi aussi l’homme enfermé dans une machine industrielle ou bureaucratique.

C’est ainsi qu’il décrit les contours d’une éthique de l’artisan qui se définit dans des équilibres:

– Entre le faire et le penser
– Entre l’obsession (compulsive) de la perfection de son art et le véritable besoin du client (qui a aussi un portefeuille)
– Entre soi et sa propre compétence et l’objet à réparer qui exige pour être compris un effacement de soi.

Il cite à cet égard Irish Murdoch qui dit: “La vertu est l’effort pour traverser le voile de la conscience égocentrique et pour retrouver le monde tel qu’il est réellement”.

Il replace enfin l’artisanat dans la tradition “libérale”, qui a commencé avec les arts libéraux (opposés aux arts serviles)[1], tandis que le travail bureaucratique met l’employé dans une situation de servilité.

La marche de l’industrialisation – du management “scientifique” – a visé à remplacer des compétences rares et longues à acquérir, par du travail à la chaîne, façon “Les temps modernes”, effectué par des hommes de moins en moins qualifiés. Il dénonce l’abêtissement sociétal qui en a résulté, au point de prendre de court les tenants du management scientifique eux-mêmes. Il y a donc, dans la pratique artisanale, à la fois l’exercice d’une liberté mais aussi une vertu de protection de la société contre la robotisation des travailleurs.

[1] Pourtant, les arts serviles désignaient les arts de modification de la matière tangible