Disons tout de suite dans quel sens nous employons ici le terme de violence. Il n’y a pas de violence dans l’absolu, seulement une ou des violences subies. Une petite tape peut être innocente ou humiliante selon les circonstances. Même un direct du droit est un acte de violence ou un joli coup sur un ring de boxe. Certes celui qui le reçoit a mal, voire s’effondre mais on ne saurait parler de violence puisqu’il n’y a pas – ainsi du moins l’entendons-nous ici – perception de la violence. Ce qui caractérise donc la violence n’est donc pas la brutalité du geste mais l’effet produit. Un silence, un regard – ou une absence de regard – peuvent tout aussi bien se révéler de sévères violences.

C’est dire d’une autre manière que la violence dépend de la situation, laquelle a, comme un tabouret, trois pieds. Le pied de la perception, le pied de l’intention et le pied du cadre. Qu’un pied vienne à défaillir et la violence augmente. Par exemple, un manager met la pression sur l’un de ses collaborateurs. Côté perception, ce dernier peut ou non, selon de complexes facteurs, souffrir de cette pression ou au contraire être stimulé par elle. L’intention du manager peut être dans une simple perspective d’amélioration des performances, voire même de développement de son collaborateur ou, au contraire, dans le but de lui nuire. Enfin, le cadre, composé de la loi officielle et des règles souvent non dites des organisations, peut tolérer ces comportements, même quand ils se révèlent toxiques, ou les réprimer.

La violence extrême consiste à ignorer un ou plusieurs de ces pôles. Par exemple, lorsqu’une direction s’appuie entièrement sur le cadre légal pour appliquer des décisions sans prendre en compte les difficultés subies par les intéressés: licenciements, déménagements, changements d’organisation. L’intention peut parfaitement être claire et saine, la loi respectée, se sentir ignorés va pousser les salariés dans la colère. À l’inverse, une victime d’un acte brutal, condamnable par la loi peut faire de la violence en retour en ignorant l’intention de l’action, qui est comme refuser à l’accusé de se défendre. Le cadre même peut faire violence quand il est conçu et appliqué ex cathedra sans tenir compte des situations. Ainsi des lois ou règlements appliqués aveuglément.

On pourrait ainsi faire l’inventaire des manquements à prendre en compte un ou deux pieds du tabouret et mettre en regard des exemples qui ne manquent pas dans le quotidien des organisations, ou même des familles, des associations, des individus.

Ce qui importe est de considérer les trois aspects avec une circulation de la réflexion de l’un à l’autre. Il ne suffit pas de prendre en compte les intérêts des victimes pour diminuer la violence, ni d’avoir des intentions claires et bienveillantes, ni même d’établir un cadre protecteur. Il faut faire reposer le tabouret sur ses trois pieds d’une façon équilibrée; établir un dialogue dans les trois côtés du triangle. Chacun de ces points est donc nécessaire, aucun n’est suffisant. Ce qui implique d’abord de suspendre son jugement et de considérer les êtres humains avant de voir les victimes et les coupables.

Ce texte s’inspire largement d’enseignements dispensés à l’Ecole parisienne de gestalt et d’une conférence de Daniel Cortesi à l’institut Epoke.

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