Tout le monde connaît peu ou prou l’histoire de Dédale et d’Icare : un père et son fils, enfermés dans un labyrinthe – que la père a conçu – et qui s’en échappent d’astucieuse manière, en se confectionnant des ailes avec des plumes d’oiseaux et de la cire d’abeille. Le père met en garde son fils, contre l’humidité de la mer, contre la chaleur du soleil. Celui-ci n’écoute pas les conseils de son père et, grisé par le vol, s’approche du soleil qui fait fondre ses ailes et le précipite dans la mer.

L’histoire sonne comme un avertissement à qui veut braver les interdits, spécialement les interdits parentaux. Pour Icare, cependant, il s’agit de voler de ses propres ailes, de s’extraire du chaos du labyrinthe, qui peut aussi être vu comme la maison de son père, et de s’approcher de la lumière. Sortir de sa zone de confort, dirait-on aujourd’hui pour user d’un vocabulaire en vogue, en ayant à l’esprit qu’une zone de confort peut aussi être un inextricable dédale où rôde une bête dangereuse, le Minotaure. Sortir de sa zone de confort et « faire sa place au soleil », comme on disait autrefois. Voilà bien résumée toute l’ambivalence de l’entreprise, quelle qu’elle soit : une aventure vers l’inconnu, périlleuse, faisant fi des avertissements. Comme le dit Joseph Campbell, l’auteur du Héros aux mille et un visages [1] : « Encore et encore, vous êtes appelés à l’aventure, vous êtes appelés vers de nouveaux horizons. Chaque fois, c’est la même question qui se pose : vais-je oser ? Et alors, si vous osez, les dangers seront présents et l’aide viendra aussi et l’épanouissement et le fiasco. Il y a toujours la possibilité de l’échec. Mais il y a aussi la possibilité du bonheur. »

Dans les archétypes que Campbell a identifiés, présent dans presque toute histoire, il y a le gardien du seuil, celui qui nous dit : “N’y va pas, c’est trop dangereux, tu n’es pas prêt, tu n’as pas les compétences, tu n’as pas la force.” Quelque chose qui correspond à Dédale, le père qui avertit son fils de ne pas s’approcher du soleil, de ne pas se mettre trop en lumière. Ce qui montre que ceux qui nous empêchent de partir à l’aventure ne veulent pas nécessairement nous nuire. Ils sont comme la coquille de l’œuf qui contraint l’oisillon et l’enferme, jusqu’à ce que ce dernier ait le bec assez solide pour s’extraire seul de sa prison protectrice.

Dans le mythe, l’issue fatale montre que le père avait raison de prévenir le fils ; de même dans toute entreprise, le danger est présent, moins cruel sans doute que la mort d’Icare : danger financier, danger d’épuisement – le syndrome d’Icare étant d’ailleurs l’ancien nom pour burn-out – et mérite l’attention et la vigilance de celui qui s’envole.

Pourtant, au départ de tout cela, bien avant la possibilité d’échouer ou de réussir pour Icare, il y a le désir de s’envoler, le désir de chercher la lumière. Et ce désir passe par la conscience du monde dans lequel nous vivons. La conscience du labyrinthe, la conscience du Minotaure. L’envolée a un but, qui n’est pas seulement la vanité d’approcher du soleil, mais celui de mettre de la clarté dans les coins sombres peuplés de créatures effrayantes.

C’est pourquoi, pour la nouvelle année, je vous souhaite de merveilleux rêves d’Icare.

[1] Joseph Campbell, Le héros aux mille et un visage, un essai sur le monomythe, tentative de trouver un schéma narratif commun à toutes les histoires de l’humanité.

Article paru sur le site dirigeant.fr