Tout un chacun, soucieux d’organisation, connaît les sept questions qui permettent de fixer les contours d’une situation : Qui, quoi, où, combien, pourquoi, comment, quand – questions qui permettent de connaître ou déterminer la ou les personnes, les faits, le lieu, les moyens, les motifs, la manière et le temps. Un acronyme commode pour s’en souvenir est QQOQCCP, bien qu’on puisse lui préférer son trivial équivalent, moins élégant dans les manuels d’entreprise mais plus efficace pour la mémoire : CQQCOQP (énoncer à haute voix).L’intérêt de la méthode que « l’heptamètre » [1] induit, est d’éviter l’omission d’un des termes et, par voie de conséquence, les éventuels préjudices qui pourraient en découler sur la marche du projet considéré : oublier d’affecter des moyens ou de désigner des responsables, omettre de donner du temps ou de fixer un délai sont, à l’évidence, des voies privilégiées pour échouer.
Il se peut cependant que l’un des termes, ou même plusieurs des termes, ne puissent être déterminés et soient entachés d’incertitude. Par exemple, le doute peut porter sur le temps. Par exemple, je suis certain de bénéficier d’un crédit d’impôt mais quand donc l’administration me le remboursera-t-elle [2] ?

L’incertitude du « quoi » est familière du dirigeant, avec le carnet de commandes – et donc l’activité de l’entreprise – rempli ou non par l’indécision du client (client que nous sommes nous aussi à notre tour dans d’autres circonstances). L’incertitude du combien, ou des moyens de financement et de réalisation des projets, est tout aussi commune.

Cependant, ce que nous nommons ici incertitude n’est pas le simple fait de ne pas savoir; car, au moment de la conception d’un projet, de nombreuses variables sont encore dans le brouillard ; l’incertitude véritable se manifeste lorsqu’il faut avancer en l’absence d’information : mener une entreprise sans visibilité ; persévérer dans une conquête sans résultat tangible ; s’engager avant de savoir. Ce qui pose difficulté avec l’incertitude n’est point tant de pas savoir car l’ignorance peut se dissiper par l’investigation avant de décider, avant d’agir ; ce qui est difficile, c’est de ne pas savoir et, en même temps, de devoir agir malgré tout.

L’heptamètre devient ici un instrument de mesure de l’incertitude mais aussi, a contrario, de ce qui n’en est pas : d’accord, je suis confronté à l’incertitude, mais sur quoi puis-je m’appuyer pour faire face et ne pas être englouti dans le brouillard ? L’intérêt étant de prendre du recul et d’avoir une vue d’ensemble sur ce qu’on ne sait pas, mais aussi sur ce qu’on sait.

L’incertitude peut peser, non sur une seule question de l’heptamètre mais sur des ensembles : Dans nos projets, vouloir absolument l’implication d’un acteur en particulier – un « qui » – par exemple une star sur un film, implique nécessaire un risque particulier puisqu’alors le projet dépend d’un accident éventuel dans l’emploi du temps de la personne considérée : la certitude du « qui » se paye d’une incertitude sur le « quand » : c’est le mal de dos de Jean Rochefort qui reporte sine die le film de Terry Gillian sur Don Quichotte ou le décès de Marylin Monroe qui laisse inachevé Something’s got to give.

Tout cela montre que l’incertitude est absolument inévitable, même si elle n’est pas localisable. Notre but ne doit pas être de la faire disparaître totalement, ce qui serait une chimère, mais de garder le cap et tenir face à elle ; quelle que soit la peur qu’elle nous inspire car, ne l’oublions pas, toute incertitude fait écho à la grande incertitude de notre vie, la mère des incertitudes qui est aussi l’une de nos grandes angoisses existentielles, irréductible, celle de notre propre fin, quelle que soit notre attitude face à elle, l’effroi, l’espoir ou le déni ; la phrase terrible – nul ne connaît ni le jour ni l’heure – résonne dans chacun de nos tracas du quotidien.

[1] Le vers latin :Quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quomodo, quando est parfois attribué à Quintilien (1er siècle après JC), sans doute faussement ; Hermagoras de Temnos a énoncé ces sept « circonstances » au 1er siècle avant JC.
[2] Mon record personnel est de deux ans et demi, grâce à la survenue opportune d’un contrôle fiscal.

Article paru sur le site jeune-dirigeant.fr