Je découvre dans mes rêves insomniaques, non sans quelque appréhension, que j’ai sur le sujet qui m’intéresse depuis quelques mois sur ce blog un regard très… mathématique: le temps lointain de ma vie d’étudiant aurait-il déterminé à ce point ma vision sur le monde? Parmi ces liens secrets et improbables qui relient les deux domaines, l’un d’eux a trait aux derniers billets et à ces conversations sur la foi.
Toute théorie scientifique est fondée sur des hypothèses; les mathématiques n’échappent pas à la règle et, dans ce cas particulier, ces hypothèses s’appellent des axiomes
. Par exemple, la géométrie que nous avons apprise à l’école – la géométrie euclidienne – a plusieurs axiomes dont: Par deux points distincts, passe une droite et une seule
; ou encore étant donné une droite et un point qui n’appartient à pas cette droite, il passe une droite et une seule qui soit parallèle à la première
. Ces axiomes ne sont pas des vérités absolues, ce sont des hypothèses; après quoi, dans la théorie qui s’érige sur leur base, ils sont en effet intangibles. Et, en effet, d’autres théories de la géométrie ont été construites en changeant le dernier axiome: par exemple: étant donné… il passe une infinité de droites…
ou encore …il ne passe aucune droite…
(*)
Les axiomes sont donc des hypothèses sur lesquelles les théories mathématiques sont construites et à l’intérieur desquelles les axiomes ont valeur de vérité absolue.
Il y aurait long à dire sur cette idée de construction sur du sable et sur la notion même de stabilité dans un monde tout à fait précaire; il y aurait beaucoup à dire sur ce que cela nous apprend sur l’absolu et le relatif, à une époque où nous déifions la science et où la vérité est une idole.
En particulier pour l’être dont l’univers intérieur, construction fragile et aussi mortelle que nous pouvons l’être, est bâti lui aussi sur quelque fondation: j’affirme donc que la foi est cette fondation, l’axiome de notre vie spirituelle. Dès lors il devient plus clair pourquoi l’absence de foi et à peu près absence de vie ou peu s’en faut. Et voilà ce qu’il y a de miraculeux dans la foi: elle est cette chose sans soutien sur laquelle nous pouvons malgré tout nous appuyer.
Fut cette foi une négation de quoi que ce soit d’invisible: mais là encore je n’y crois pas et je ne crois pas à une physique sans métaphysique: il faut bien tout de même croire en quelque chose pour aimer, respecter les autres; pour avoir confiance un tant soit peu en l’autre; il faut bien que les racines de notre être trouvent l’oxygène en dehors de notre corps étroit; il faut bien une source où abreuver notre soif de savoir; il faut bien un mystère pour continuer à vivre…
(*) Les esprits curieux rechercheront des informations sur les géométries euclidienne, riemannienne et de Lobatchevski
« Il faut bien tout de même croire en quelque chose pour aimer, respecter
les autres, pour avoir confiance un tant soit peu en l’autre, il faut bien que
les racines de notre être trouvent l’oxygène en dehors de notre corps étroit
»
Heureuse coïncidence : je viens de terminer (avec modestie !) la lecture de
« Spinoza avait raison » du célèbre neurologue Antonio Damasio. Au-delà d’une
première partie très scientifique et assez absconse pour un non spécialiste, la
deuxième partie est proprement passionnante car elle nous parle de Spinoza, de
ses géniales intuitions et de sa conception de Dieu.
Alors oui Spinoza croyait en Dieu Mais…citons Damasio :
« Le système de Spinoza comporte un Dieu, mais ce n’est pas une providence à
l’image de hommes ….Dieu est la nature et s’exprime à travers les créatures
vivantes…Dieu n’est pas révélé aux hommes à la façon exposée dans la Bible. On
ne peut adresser de prière au Dieu de Spinoza
Pas besoin de craindre ce Dieu car il ne punit jamais. Pas besoin de travailler
dur dans l’espoir de s’attirer ses bonnes grâces : aucune récompense ne
viendra. La seule chose qu’on doit redouter, c’est notre propre comportement.
Quand on ne parvient pas à être bienveillant avec les autres on se punit
soi-même, ici et maintenant, et on s’empêche d’atteindre la paix intérieure et
le bonheur, ici et maintenant. Au contraire, quand on aime les autres, on a de
bonnes chances de les trouver, ici et maintenant,…. »
Le but de l’ouvrage de Damasio est de montrer que les dernières découvertes
scientifiques sur les mécanismes du cerveau corroborent ces intuitions.
Il est un peu tortueux d’expliquer son incroyance en présentant un tel
texte, mais faisons abstraction du premier paragraphe concernant la croyance en
Dieu et ne retenons que le deuxième. Il me semble qu’il peut se comprendre
indépendamment de la croyance en Dieu : être bienveillant est le secret du
bonheur. Heureusement d’ailleurs pour ceux qui ne croient pas : ils peuvent,
oui, ils peuvent connaître le bonheur ! C’est d’ailleurs ce qui m’a toujours
fasciné dans le Christianisme : « Aimez vous les uns les autres ». Conseil
génial ! Malheureusement, la deuxième partie de la phrase « comme Dieu vous a
aimé » peut être absolument incompréhensible pour les athées. Qu’importe
d’ailleurs ?
Est-il vraiment nécessaire de croire « en quelque chose pour aimer » si ce
n’est à son propre bonheur bien compris ? Pourquoi celui qui croit en Dieu,
n’imagine pas qu’il puisse en être autrement ? L’oxygène est à l’intérieur de
notre corps limité par son enveloppe charnelle certes mais aux potentialités
très peu exploitées. Absence de vie vous dîtes ?!