L’essor violent de DAESH et les attentats survenus récemment dans le monde, sous des étendards religieux, réactivent un concept que nous croyions réservé au XVIe siècle: la guerre de religion. Dans cette perspective, la religion source de conflit, devient alors objet de suspicion et de nombreux débats mettent en débat l’existence même de ces croyances prétendument surannées.

De mon point de vue, ce qui émerge du corpus religieux, ce sont les messages centraux qui disent: “Tu ne tueras point”; “Aime ton prochain comme toi-même”; j’ai même pu trouver dans ma jeunesse que la religion avait un goût un peu mièvre. Certes, aussi bien dans la Bible que dans le Coran, coexistent, avec ces messages de paix, des récits violents et meurtriers et des anathèmes contre les infidèles. Mais cela reste un mystère qu’on puisse s’appuyer sur ces derniers et négliger le principal.

Un article récemment paru dans Slate [1] fait écho d’une note des services secrets britanniques, qui témoigne que les jihadistes sont le plus souvent “des novices en matière de religion” et que, au contraire, “une identité religieuse bien établie protégeait de la radicalisation violente”. Ceci accrédite l’idée, d’après moi, que la religion n’est que l’instrument au service d’un projet politique et belliciste, instrument de mobilisation de troupes fanatisées sur le terreau de l’ignorance. Dans ce même article, le philosophe Slavoj Zizek prétend que “Les fondamentalistes de l’EI sont une insulte aux véritables fondamentalistes”. Force m’est de constater que je peine à rapprocher le comportement des coupeurs de tête auxquels nous avons à faire, avec le comportement de mon voisin juif orthodoxe, des soufis qui se réunissent non loin et qui me paraissent être les plus doux des hommes, ou encore des fervents catholiques parmi mes connaissances. Certes, ma propre expérience ne vaut pas théorie générale de la religion; mais elle vaut réfutation d’une théorie qui dirait que la religion rend les gens méchants et abrutis.

Ce que je crois est que la religion est un leurre, un faux nez de ces entreprises destructrices que sont les organisations terroristes se réclamant de l’Islam. Ces folies ont davantage à voir avec, par exemple, l’idéologie nazie, ainsi que l’affirmait dans une interview récente Boris Cyrulnik [2]. Non seulement par l’antisémitisme mais aussi par une forme d’utopie qui vise à l’établissement d’une cité parfaite. Dans son livre, Crime et utopie, Frédéric Rouvillois [3] fait une charge contre l’utopie et montre comment, par une quasi-mécanique, elle mène au meurtre et à une certaine folie des hommes. Ainsi du nazisme qui voulait établir la cité parfaite fondée sur le travail et le sport; ainsi du communisme stalinien; et, à bien des égards, ainsi également de la Révolution française qui conduisit à la Terreur, la Terreur qui fit de la France, patrie des droits de l’homme, le pays du meurtre institutionnalisé pour donner l’exemple et supprimer les ennemis de l’intérieur, la Terreur ancien nom du terrorisme. Ainsi également de cette proclamation d’un califat où la vie est réglée selon des règles strictes, aussi bien dans leur définition que dans les sanctions qu’encourent ceux qui les transgressent.

Ainsi le point commun de toutes ces entreprises qui tournent au meurtre est-il l’utopie, et non la religion. Accuser cette dernière plutôt que la première, c’est aggraver le mal. Cela ne signifie pas que la religion n’est pas critiquable, loin s’en faut; cela signifie qu’elle n’a pas sa place dans le banc des accusés du procès DAESH. Cela signifie aussi qu’il ne faut pas oublier les bienfaits que nous ont apportés les religions avec leur message de sacralisation de la vie, rien moins que la possibilité de vivre paisiblement avec des gens que nous ne connaissons pas, ainsi que le note l’anthropologue Jared Diamond [4], et de donner aussi à ceux que nous ne connaissons pas le statut d’êtres humains. Tout le contraire de ce qui se passe actuellement dans de nombreux endroits dans le monde.

[1] Le fondamentalisme de l’Etat islamique analysé par le philosophe Slavoj Zizek – https://www.slate.fr/story/91793/fondamentalisme-etat-islamique-slavoj-zizek
[2]  https://www.tv7.com/point-de-vue-de-boris-cyrulnik-neuropsychiatre_3979593465001.php 
[3] Crime et utopie : Une nouvelle enquête sur le nazisme – Frédéric Rouvillois – Flammarion 2014
[4] Voir mon article paru à l’occasion des attentats de début janvier: Tristes tropismes