“De quoi avez-vous parlé?
— Oh, de rien, de la pluie et du beau temps.”

Ainsi va la vie quand parfois, on rencontre des amis par hasard sur le trottoir, que peut-être on va prendre un café en terrasse et qu’on passe un moment ensemble.

Le savant Roland Barthes [1] parle de cela et de cette façon de ne parler de rien qu’il appelle la “fonction phatique du langage”, lorsque ce dernier est utilisé uniquement pour établir une communication, sans apporter de réelle information comme dans des mots tels que “Allo” ou “Euh”.

Il arrive à cet endroit dans son discours sur le haïku qui contient toujours, traditionnellement, une référence à une saison de l’année. Par exemple:

Le vent d’hiver souffle
Les yeux des chats
Clignotent [2]

Il en vient à parler de l’intérêt de parler du temps qu’il fait, de cette chose dont j’ai toujours entendu finalement dire du mal, comme d’une chose sans intérêt qu’on dit quand on ne sait pas dire autre chose, en termes savants donc qui ont une fonction phatique et puis soudain, cette chose sans intérêt devient une chose importante pour Roland Barthes – et je peux imaginer que son amour des haïkus lui a soufflé que ça ne pouvait pas être médiocre tout à fait de parler des saisons – au point qu’il dit qu’une telle conversation peut arriver entre gens qui s’aiment, “qui s’aiment tellement – je cite – qu’ils se le disent par la délicatesse même de l’insignifiance, car il y a des cas où seule l’insignifiance est délicate.

Il dit aussi cette chose que je trouve magnifique et où le temps qui passe affleure sous le temps qu’il fait: “Je pense à la douleur qu’il y a à ne plus pouvoir jamais parler du temps-qu’il-fait (sic) avec l’être aimé s’il a disparu. Par exemple, voir la première neige dans l’année et ne pas pouvoir lui dire: “Voilà la première neige”, tout simplement, et être obligé de garder cette neige pour soi.”

Lisant tout cela, je réalise à quel point ce discours que j’ai moi-même méprisé – parler du temps qu’il fait, de la pluie et du beau temps – peut être, non pas nécessairement une déclaration d’amour, mais des mots qui créent de l’intimité puisqu’il s’agit de prendre le temps de ne rien dire ou de dire de l’évidence – Quel beau soleil aujourd’hui! Oui, mais le temps se couvre – seulement pour se parler l’un à l’autre.

Et peut-être y a-t-il un drame caché, dont je crains qu’il paraisse au lecteur bien insignifiant, celui aujourd’hui de ne plus pouvoir parler innocemment du temps qu’il fait. Parce que le réchauffement climatique est dans tous les esprits, parce qu’un drame immense se joue qui vient envahir tout discours sur la météo. Parce que dire aujourd’hui “il n’y a plus de saison” ne peut plus être une frivolité mais quasiment une parole politique bientôt contrée par celui qui doute de la parole officielle sur le climat.

Au point me suis-je dit que, peut-être, la principale résistance à accepter la réalité des modifications du climat et notre implication dans le processus, résistance qui s’applique par conséquent aux changements que ces réalités imposent, trouve sa source dans un paradis perdu. Le paradis d’une parole innocente, d’un discours “phatique” sur le temps qu’il fait, de cette possibilité de nous parler les uns aux autres sans autre enjeu que d’être en lien les uns avec les autres.

Une sorte de version moderne et actualisée du péché originel où, ayant détruit les fruits de la nature, l’homme et la femme perdraient leur innocence et la jouissance d’un jardin extraordinaire.

Ce jardin où:

Les prairies sont brumeuses
Les eaux font silence
C’est le soir [3]

[1] Dans La préparation du roman dont j’ai fait le résumé des deux premiers chapitres
[2] Bashô. Je cite par pure loyauté, ignorant tout des auteurs de haïkus.
[3] Buson, Munier