Je suis de nature impatiente. Je me figure que tout entrepreneur l’est d’ailleurs un peu. L’impatience est sans doute, me dis-je, une conséquence fréquente de l’envie d’explorer de l’entrepreneur, l’envie de défricher des terres incertaines, l’envie de dépasser les horizons connus.

Voilà que le hasard met sous mes yeux un livre de l’écrivain Romain Rolland, écrivain peu connu aujourd’hui qui a pourtant eu le prix Nobel en 1915 et été l’un des grands inspirateurs de Stefan Zweig: Mahâtmâ Gandhi[1]. Un extrait vient très directement confronter mon impatience naturelle :

« Les siècles ne sont pas pour effrayer un hindou. Gandhi est prêt au succès dans l’année. Mais il y est aussi prêt, dans le cours de quelques siècles. Il ne violente pas le temps. Et si le temps s’attarde, il s’attarde avec lui. »

Curieuse pensée en effet, qui ne cadre pas avec nos standards qui allient l’action et la vitesse d’un côté, la patience et la passivité de l’autre. Raison pour laquelle, nous avons de même tendance à confondre la non-violence du leader indien avec du laisser-faire, quand sa politique de « non-coopération » était pour lui un mouvement résolument actif.

Curieuse pensée, mais puissante leçon, car j’entends partout autour de moi – et aussi parfois en moi – combien le temps est compté, combien nous en subissons la pression, combien il en devient difficile de « se retrouver » dans la course galopante et, donc, combien nous pouvons tirer profit de cultiver une capacité à rester tranquille dans la durée, quand nos affaires n’aboutissent pas, quand les résultats tardent à se produire, quand la précipitation nous fait voir le spectre de l’échec avant d’avoir été au terme de notre tentative.

La méditation est, bien entendu, une façon d’apprendre un nouveau rapport au temps. Elle n’est pas toujours aisée à pratiquer pour ceux qui sont rétifs, comme moi, à l’immobilité. Moins médiatisée et honorée par les articles sur le bien-être, la marche à pied est une façon immédiatement accessible de pratiquer une action lente dans la durée. Je l’ai expérimentée en 2010, quand je traversais un moment de turbulences personnelles et professionnelles, en marchant d’Alençon au mont Saint-Michel. Une expérience inouïe, si marquante que j’ai non seulement décidé d’en faire un livre [2], mais aussi pris la résolution de partager cette expérience et de la faire vivre, quelque chose entre la marche et l’entreprise, l’entreprise au sens large d’initiative, de conquête, d’exploration [3].

Extrait du livre :

« Ne pas se perdre ; trouver son chemin : c’est pour cela que je pars, trouver son chemin dans la forêt des occupations ; troquer mille vies pour une seule ; la vie de famille, vie de père, vie de mari, vie de fils aussi ; la vie professionnelle, vie de chef d’entreprise, de commercial, d’informaticien, de conseil ; vie associative, organisateur, blogueur, soutien scolaire ; vie sociale, sorties, amis, quelques projets paraprofessionnels avec des proches ; vie personnelle, lecteur, un brin d’écriture, des réflexions en suspens, des envies spirituelles inachevées. Tout cela non pas oublié, mais ramassé dans : trouver son chemin, arriver à l’étape avant la nuit.

Tout ce voyage est un pari : le pari que le chemin parcouru, parcouru pas à pas, les kilomètres de terre, de boue, les signes sur les arbres, les égarements, les départs, les arrivées seront une métaphore active de la vie et qu’à trouver mon chemin dans la campagne, je verrai plus clairement mon chemin dans la vie, chemin qu’à force d’occupations, de piétinements en tentatives et en sentiers de traverse, j’ai fini par ne plus distinguer tout à fait. »

Bref, de la marche comme métaphore de l’entreprise, ou comme entreprise particulière, avec en prime l’apprentissage du temps.

[1] Mahâtma Gandhi – Romain Rolland – Éditions des Équateurs 2016 (Première édition Stock 1924)
[2] Le voyage au Mont – www.editionsparticulieres.com – 2012
[3] Des journées en forêt pour prendre le temps de la réflexion, la prochaine est le 12 avril.