À la veille de l’été et des vacances, je résume ici le propos que j’ai mûri et distillé pendant ces derniers mois : « ne pas savoir » pourrait être le mot d’ordre d’une nouvelle humanité.

Ne pas savoir qu’un être humain est coupable ou non ; certes il faut une justice. Considérons cependant que tout jugement est une mesure d’urgence, à défaut d’une connaissance plus profonde de la situation, voire un pis aller. C’est peut-être toute la noblesse du métier de juge que d’assumer l’imperfection de tout jugement et c’est la noblesse des défenseurs que de cultiver le doute. De même, dans notre vie quotidienne, ne pas émettre de jugement et, quand l’urgence le rend nécessaire, alors qu’il soit limité à la situation présente.

Ne pas savoir l’avenir, au risque soit de l’inconscience, soit du désespoir. Savoir, c’est arrêter de prospecter, d’inventer ; savoir, c’est contraindre l’action dans une seule direction quand ce n’est pas l’empêcher tout à fait.

Ne pas savoir les catastrophes à venir, sans pourtant ignorer toute menace ; voir cependant que l’inattendu se manifeste davantage dans la réalité que dans notre imaginaire de demain.

Ne pas savoir le passé, et pourtant cultiver la mémoire comme une chose fragile et vivante que le temps transforme aussi. Ne pas savoir les recettes, garder la tradition vivante et ne pas savoir non plus qu’il faut de ce passé faire table rase.

Ne pas savoir les réponses, sauf à titre transitoire, et seulement comme des hypothèses toujours réfutables ; considérer même qu’une hypothèse non réfutable est une croyance personnelle qu’il serait déraisonnable de vouloir imposer à autrui.

Ne pas savoir qui a tort, qui a raison, savoir seulement qu’on peut toujours approfondir le débat et que la vérité peut passer de l’un à l’autre, en fonction de la lumière changeante sur l’objet de notre discussion.

Ne pas savoir même notre ignorance, Ne pas savoir sans en faire une religion. Continuer malgré tout à chercher, à élaborer, continuer à chercher le savoir, tout relatif soit-il ; ne pas désespérer de nos fragiles appuis, de ce que l’on croit savoir, avoir l’audace de croire que l’action peut s’en nourrir.

Car le monde actuel, notre monde, étouffe de trop de certitude.

Certitude des poseurs de bombes et de leurs commanditaires, qu’il y a des « bons » et des « méchants » et que ce combat mérite tous les sacrifices, toutes les victimes.

Certitude des débatteurs qui alignent leurs arguments en se souciant davantage de voir leur cause progresser que d’atteindre le bien commun.

Certitude de nous tous, qui classons, catégorisons, étiquetons nos semblables et nous trouvons trop souvent enlisés dans nos propres convictions.

Alors oui, ne pas savoir, pour un monde avec moins d’invectives, un monde moins rigide et, au contraire, plus fluide, plus doux, plus harmonieux.

Un plaidoyer pour l’incertitude, un plaidoyer pour une nouvelle humanité.

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