Flaubert a eu ce mot : « La rage de vouloir conclure est une des manies les plus funestes et les plus stériles qui appartiennent à l’humanité. » J’ai d’abord songé, en découvrant cette citation, qu’il voulait parler de l’envie d’en finir avec l’écriture d’un livre ou tout autre projet. Cependant, la suite nous éclaire sur son propos : « Chaque religion et chaque philosophie ont prétendu avoir Dieu à elle, toiser l’infini et connaître la recette du bonheur. Quel orgueil et quel néant ! Je vois, au contraire, que les plus grands génies et les plus grandes œuvres n’ont jamais conclu. »

Où je comprends qu’il ne s’agit pas d’en finir avec une œuvre, mais avec un questionnement. C’est une piste intéressante pour appréhender certains comportements, de la part de personnes (voire nous-mêmes !) qui prétendent absolument avoir raison. D’emblée, on pourrait croire qu’il s’agit d’une manifestation de l’ego qui voudrait absolument jouir de la supériorité de qui détient la vérité. Je me plais à imaginer qu’il peut aussi – sans exclusive – s’agir d’une volonté d’en finir avec l’incertitude. Si j’ai raison, alors le sujet est définitivement clos et la question ne me tracasse plus.

Car enfin, quel est, la plupart du temps, le bénéfice d’avoir raison ? Peut-être une brève bouffée de satisfaction, souvent vite accompagnée du ressentiment des mauvais joueurs qui partagent cette même rage d’avoir raison. Et à part ça, rien. Au contraire, nous gagnerions à laisser les discussions ouvertes, ainsi que Flaubert le suggère pour les œuvres, afin de laisser entrer de l’incertitude, qui est comme de laisser entrer de l’air dans la maison pour éviter les odeurs rances. Un sujet trop vite conclu est souvent mal conclu, comme une plaie trop vite refermée dégénère en abcès.

Bien sûr, dans ce monde où nous subissons des excès de charge mentale – le nouveau concept à la mode –, nous avons besoin de faire du vide dans nos existences. Avoir raison sur un point nous permet d’évacuer le point concerné. Mais à quel prix ? Au prix peut-être de toutes les rages qui sont un assaut aveugle contre le monde pour se débarrasser d’une menace, sans conscience des conséquences. Le prix de la folie.

[1] Voir aussi mon article sur la modernité et la tentation d’éradiquer, https://www.lqc.fr/le-moderne-cest-deradiquer/, ou sous un autre angle, celui-ci qui évoque la solution finale https://www.lqc.fr/foi-et-raison-opus-3/

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