Une énigme logique bien connue met en scène un voyageur à un carrefour d’où partent deux chemins. L’un va en enfer, l’autre au paradis. Deux gardiens sont postés là et nous savons que l’un, le gardien du paradis, dit toujours la vérité et que l’autre, celui de l’enfer, ment systématiquement. Vous êtes le voyageur et vous ignorez quel est le chemin qui mène au paradis, chemin que, bien entendu, vous souhaitez prendre. Vous ignorez également quel gardien ment, quel gardien ne ment pas. Vous avez droit à une question: quelle question poserez-vous à un des gardiens pour vous diriger à coup sûr?

Le lecteur féru d’énigmes – et qui ne connaîtrait pas celle-ci – doit faire une pause ici, car je vais donner la réponse ou du moins une réponse possible. Par exemple, en s’adressant à l’un des deux: “Que répondrait l’autre gardien si je lui demandais de me désigner le chemin de l’enfer?” Dès lors, à coup sûr, le gardien va nous montrer le chemin du paradis puisque, s’il dit la vérité, alors il dira quel chemin montrerait son collègue menteur incapable de donner la bonne réponse. Et, s’il ment, il travestira la réponse correcte de l’autre qui aura montré en effet le chemin de l’enfer. Le secret de la réponse résidant ainsi dans le fait d’impliquer les deux gardiens afin d’additionner leur comportement selon l’équation: vérité + mensonge = mensonge, quel que soit l’ordre des termes avant le signe d’égalité.

Cette énigme est, pour peu qu’on accepte de la regarder d’un peu loin, une belle métaphore de la relation. Deux personnes différentes l’un de l’autre, d’une façon qui n’est pas aussi simpliste que “dire toujours la vérité” ou “toujours mentir” mais tout de même ayant chacune sa singularité au point de rendre parfois la compréhension difficile et, si on n’y prendre garde, de se tromper de chemin. J’aime aussi la métaphore de la réponse qui est d’inclure les deux personnages. Lorsque nous échangeons avec autrui, ce qu’il nous dit passe par le filtre de notre propre conscience et, si nous n’y prenons garde, alors nous pouvons nous méprendre sur ce qu’il nous dit. Quelle que soit l’attention que nous lui portons, nous ne pouvons tirer aucune conclusion certaine si nous ne nous incluons pas dans l’équation. Ce que Anthony de Mello traduit de belle façon par: “Il faut écouter l’autre; mais il faut surtout s’écouter soi car, si on ne s’écoute pas, on ne peut pas entendre ce que nous dit l’autre.” [1]

C’est une chose difficile en réalité de porter son attention à l’autre, ce qu’il nous dit, comment il nous le dit sans s’oublier soi-même, ce que nous en comprenons mais aussi ce que ça nous fait, comment ce qu’il nous confie nous impacte. Mais c’est le chemin de la communication authentique. Le pas suivant étant de s’ouvrir à l’autre de ce que nous avons entendu. Entendu de lui, entendu de nous-même à l’occasion de notre relation avec lui. Une ouverture sur ce que nous avons au dedans de nous, au dedans de notre coeur, ce qui porte – et l’étymologie nous le confirme strictement – le beau nom d’intimité.

[1] Anthony de Mello – Quand la conscience s’éveille – Albin Michel 2002. La citation est approximative.

Article paru sur le site dirigeant.fr