Changer, c’est maintenir : j’ai choisi ce titre, d’abord par référence au slogan de campagne de notre président – le changement, c’est maintenant – en mettant ainsi en exergue qu’il y avait dans la formule une sorte d’oxymore si l’on considère « maintenant » comme étant le participe présent de maintenir.

Comme s’il avait dit : le changement, c’est de ne pas changer. Ce qui à mon avis – et c’est un éclairage possible du succès électoral de François Hollande – correspond au souhait profond de la plupart d’entre nous : changer pour ne rien changer. Par exemple sortir de la crise pour retrouver nos habitudes ; la crise que nous continuons à appeler crise tout en disant qu’elle n’en est pas une, mais une mutation, autrement dit un changement. Autrement dit encore une chose pire qu’une crise.

Car, tous autant que nous sommes, nous voulons le changement pour autrui ou pour notre environnement et assez peu pour nous-mêmes. Assez peu, voire pas du tout. Car changer, c’est troquer une part de ce que nous sommes contre une partie de ce que nous ne sommes pas ou pas encore. Deux raisons d’avoir peur : faire rentrer de l’incertain en nous et perdre une partie de ce que nous sommes. Gagner de l’inconnu et perdre du connu. Imaginons-nous rentrer en salle d’opération pour une greffe et que le chirurgien nous dise : je vais vous enlever un bras, mais je ne vous dis pas ce que je mettrai à la place, ça dépendra des circonstances. Largement ce qu’il nous faut pour avoir peur.

Dans les entreprises, nous parlons de « conduite du changement ». Ce qui signifie en général faire changer ceux qui se comportent comme des boulets et refusent toute nouveauté ; les amadouer pour que, enfin, ils acceptent le nouveau logiciel, la nouvelle organisation, les nouvelles procédures, etc. Nous méconnaissons ainsi la terrible angoisse qui peut se manifester, d’autant plus fortement qu’en général, le changement en question a été imposé par l’extérieur, apparaissant ainsi à la fois anxiogène et arbitraire : le fait du prince.

Mais le constat de ces grandes résistances au changement, présentes en chacun de nous, est aussi l’occasion d’être plus tolérant pour notre propre incapacité à nous conformer à un idéal. Idéal peut-être fantasmé, mais là n’est pas la question ; idéal dont nous savons peut-être ce qu’il faudrait faire pour l’atteindre, mais que nous ne mettons pas en œuvre. Tout simplement parce qu’il faudrait changer.

À propos de quoi, deux principes doivent pouvoir nous guider, et dans le nécessaire ajustement des organisations dont nous avons la responsabilité, et dans notre propre adaptation au monde.

Premièrement, il est presque impossible de changer les gens ; du moins sans leur active collaboration et leur entier consentement. Le plus simple est de changer soi-même.

Deuxièmement, se considérer soi-même comme l’animal le plus craintif qu’il vous soit possible d’imaginer. Et se traiter comme si vous vouliez apprivoiser ce petit animal. Comme le renard dans le Petit Prince. Doucement, lentement, sans impatience. Jour après jour, en faisant une fête de chacun de vos progrès.

Peut-être commencer par voir le monde comme peuplé de petits animaux craintifs, plutôt que des monstres dangereux.

Article paru sur le site dirigeant.fr