Retour à la maison hier soir, à cheval derrière Valérie sur son scooter, au milieu des voitures de police, recevant sur mon portable des messages de mes amis qui s’inquiètent pour notre sécurité. Des frissons me parcourent le dos, comme s’il faisait dehors un froid mortel. Quelque part, en effet, la mort rôde puisqu’à quelques centaines de mètres des dizaines de personnes sont en train de perdre la vie. Au Bataclan, l’endroit où Valérie et moi nous sommes rencontrés voici presque vingt ans maintenant; une attaque de notre intimité. Mais nous sommes en vie et nous pénétrons dans le parking de notre immeuble où nous savons nos enfants en sécurité. Ils regardent à la télévision une chaîne d’information en continu. Plus encore peut-être qu’au dehors, alors que nous sommes dans notre foyer, tous volets clos, ces images où l’on ne voit rien font monter l’angoisse. Nous entendons des détonations. Le mot “guerre” me vient aux lèvres et je songe au Chant des partisans: “Il y a des pays / Où les gens au creux de lits / Font des rêves; / Ici, nous, vois-tu / Nous on marche et nous on tue / Nous on crève”.

C’est trop dire que nous sommes en guerre; mais plus juste que nous ne sommes plus en paix avec l’insouciance de celui qui rêve tranquillement, ce qui, quelques heures auparavant, était encore le cas, au contraire d’autres pays. Hier soir, je me ferme à l’angoisse; je me ferme à la tristesse mais aussi à la colère; je vais au creux de mon lit.

Ce matin, une angoisse au réveil. Il faut continuer de vivre, chance qui n’est pas donnée à ceux dont la liste s’est encore allongée pendant mon sommeil. L’envie pointe de ne pas sortir de chez soi; rester dans ce creux du lit, sous la couette avec des fenêtres étanches sur le monde, télévision et réseaux sociaux. Où je lis de la peine, de la peur, où je lis aussi de la colère. Ce qui, peut-être, éloigne un peu de moi ce désir d’enfermement, c’est au fond obscur de mon coeur, ancrée dans les tréfonds, la conscience permanente que, chaque jour, chaque heure, chaque minute, et pas seulement en ce temps de violence et d’attentats, la mort rôde. Conscience qui tapisse ma vie d’un fond de tristesse et de peur; mais qui aujourd’hui m’aide à encaisser le choc.

La peur est la seule arme du diable, puisque c’est bien de la peur dont se servent ces gens, dont l’un est décrit par un homme à la télévision: jeune, barbe naissante, les yeux fous. Fous de peur, peut-être aussi; une peur si violente qu’il se réfugie dans l’horreur et veut tous nous y entraîner.

La peur est la seule arme du diable mais, parce qu’elle est aussi la signature de notre humaine condition, le signe le plus sûr que nous sommes des êtres vivants conscients du cadeau qui nous a été fait, elle est aussi notre bouclier.

Cet article fait suite à un premier opus, titré aussi “La peur est la seule arme du diable“, publié juste après les attentats de janvier.